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La ressortie, ce mercredi 25 novembre, de Klute est l’occasion de s’intéresser à ce film méconnu de la décennie considérée comme le dernier âge d’or, les années 70, comme de la filmographie de son réalisateur Alan J. Pakula. Il est vrai que cette œuvre accuse un déficit de considération comparé aux deux autres opus composant sa trilogie dite du complot, les grandioses À cause d’un assassinat et Les Hommes du Président, du fait de son rythme atypique et de sa rapide bifurcation d’une enquête policière classique vers un récit intimiste, la découverte du coupable important finalement moins que la construction identitaire de son héroïne, remarquable Jane Fonda.
Un notable d’une bourgade de Pennsylvanie, Tom Gruneman, disparaît inexplicablement. John Klute (Donald Sutherland), ami et détective privé mène l’enquête avec pour seuls indices les lettres obscènes que Gruneman aurait écrites à une call-girl de New-York, Bree Daniels (Jane Fonda). Klute se rend sur place, s’installe au rez-de-chaussée de l’immeuble de Daniels et enregistre ses conversations téléphoniques. Il prend finalement contact avec elle et noue une relation d’attirance/répulsion qui parasitera ses recherches de la vérité.

Klute vaut vraiment la peine d’être découvert car il expose tous les attributs et motifs des fictions paranoïaques à venir, et repris par Pakula lui-même, mais se restreint à des sphères dont les ramifications sont encore identifiables. En 1971, année de sortie du film, l’Amérique, si elle a été éclaboussée par le sang de Kennedy ne l’est pas encore par le scandale du Watergate qui éclatera un an plus tard en 1972. Traumatisée, elle n’a pas encore perdu confiance en ses institutions bien que quelques révélations sur la surveillance étroite des citoyens exercée par les agences gouvernementales (C.I.A, F.B.I) commencent à poindre dès le début des seventies. Klute se montre ainsi parfaitement raccord avec ce contexte et plutôt que de montrer des êtres se confronter aux conséquences d’une machination impossible à révéler au grand jour (comme l’expérimenteront Warren Beatty et le duo Redford/Hoffmann), échafaude un climat oppressant s’immisçant progressivement dans la vie de chacun. Cloisonnement de plus en plus insistant (cadres, surcadres, cloison du bureau de Cable se refermant) jusque dans l’appartement de Bree Daniels et qui confine à l’isolement malgré l’activité de la ville (nombreux espaces vides composant l’arrière plan), on dénote également d’importantes zones d’ombre (formidable travail sur la photographie de Gordon Willis) comme une multiplication de plans subjectifs insinuant une surveillance ou de plans à la durée inhabituellement longue augmentant l’expectative.

Klute, sans y faire clairement référence, est un film hanté par l’assassinat de Kennedy, Tom Gruneman, que l’on verra en tout début de métrage et assez furtivement lors du repas, joue ce rôle d’une présence fantomatique que l’on évoquera au détour de dialogues ou par l’entremise d’une photo souriante de son visage. Une absence qui agira sur la vie des protagonistes, ceux-ci cherchant aussi bien à mettre à jour le mystère l’entourant (est-il mort ? Si oui, tué par qui, pourquoi ?) qu’à s’en défaire pour recommencer à vivre.
Mais le film se montre vraiment intéressant dans sa peinture du personnage féminin principal, Bree Daniels, qui semble ne s’épanouir que dans la domination exercée sur la gent masculine. C’est elle qui mène les débats et les ébats. Pourtant, elle expose certaines faiblesses et états d’âme à sa psy, la call-girl ayant du mal à réfréner les désirs d’amour et d’équilibre de la femme. Tout son petit monde sera encore plus chamboulé par l’entrée en scène du détective John Klute qui sera plutôt un élément perturbateur que véritable héros du film, contrairement à ce que l’on pouvait attendre d’un titre reprenant son patronyme. Il incarnera l’autre versant de la masculinité, celle offrant sécurité et stabilité par opposition au maquereau interprété par Roy Sheider. Un personnage féminin à fort caractère dont les attitudes de défiance cachent une fragilité à fleur de peau. Pakula joue extrêmement bien avec les attentes qu’il aura suscitées, Klute a finalement du mal à imposer sa présence à l’écran (souvent littéralement dans l’ombre en train d’épier, transparent lorsque le réalisateur ne cadre que son reflet dans une vitre) et Bree Daniels se montre vraiment détonante alors qu’elle nous a été présentée de manière indifférenciée au milieu d’un casting de jeunes femmes (la caméra passe sans s’arrêter en gros plan sur son visage).

Enfin, Klute se révèle un grand film dans son utilisation de la bande-son. Une importance marquée d’emblée par le premier plan montrant un magnétophone que l’on actionne. Ainsi, les enregistrements des conversations de Bree seront autant de révélations factuelles sur ses méthodes de travail, sa manière de jouer face à son client, qu’elles sembleront illustrer les pensées de Cable, le commanditaire de Klute, en pleine réflexion ou introspection et seront utilisées pour provoquer l’effroi lorsque Bree entendra sa propre voix en décrochant le téléphone. De même les confessions faites à sa psy déborderont le cadre de son cabinet pour éclairer de manière contradictoire ce que les images de l’intimité du couple Klute/Daniels laissent entrevoir. Une intimité caractérisée par l’absence de paroles, les sentiments s’exprimant par les gestes, les regards, les postures. Les quelques mots proférés s’avèreront blessant ou générateurs de peur ou de tension. Les relations sincères sont donc celles où l’économie de mots prédomine puisque lorsqu’ils affluent (pendant des passes ou des entretiens avec la psy) c’est sous couvert d’une certaine somme d’argent. Un environnement sonore dont l’importance est redoublée par la musique de Michael Small dont les compositions ajoutent aux troubles de la relation et de l’ambiance paranoïaque.

Klute, sans être un chef-d’œuvre du genre est indéniablement à découvrir pour son portrait de femme dont la libération sexuelle et morale dérègle l’introversion imposée et puis parce qu’il détourne avec brio les codes du film noir et plus généralement du classicisme hollywoodien alors en vigueur (illustrant en cela ce que sera le Nouvel Hollywood). Alors que le film, à l’image de son héros désabusé, semble s’articuler sur la désillusion à l’œuvre, il s’achemine vers la possibilité de se reconstruire. Une éventualité contrecarrée quelques années plus tard par les deux authentiques chefs-d’œuvre de Pakula, À cause d’un assassinat et Les Hommes du Président.

Nicolas Zugasti

> Film repris en salles le 25 novembre 2009

> Lire aussi l’article consacré au « cinéma politique » et à la musique de Michael Small dans VERSUS n° 9.



Extrait de Klute en VOSTFR



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